Manifeste

 

Des peintres qui fermement osent se dire coloristes. Des peintres qui dessinent avec la couleur, des peintres qui improvisent avec la couleur, des peintres qui jazzent avec la couleur.

"Néo-impressionnistes peut-être"? Sans doute. C'est la vibration des rencontres de couleurs qui est le sujet même du tableau, l'excitation ultime, la jouissance de voir. Le but de la peinture: le plaisir de peindre pour le seul plaisir de peindre. Comme les impressionnistes et surtout comme Cézanne, notre Maître inépuisable. Dans la texture  colorée et les tensions provoquées par le jeu des taches, qu'elles soient figuratives ou abstraites, le peintre en voyage laisse surgir les formes et les couleurs sans savoir où il va.

Comme Picasso, il ne cherche pas, il trouve.

L'habileté à peindre d'observation ouvre la fenêtre pour peindre "en imaginaire" et plus précisément en "rêve éveillé".

Achèvement de l'acte de peindre, de sculpter les formes, le dessin d'observation…stimule, voire excite.

L'artiste magenta bluesien sait dessiner. La reproduction d'après photo est donc absente, sauf en quelques rares cas, parce que sans intérêt, trop passive et limitative. Le dessin d'après  modèle, le portrait et la nature morte représentent donc les gammes, les "standards" du peintre, si on peut dire.

 

Imprégné des formes dessinées avec plaisir, le peintre peut se lancer en imaginaire et se laisser partir dans le rêve éveillé. En poussant de la peinture, il bâtit son tableau et laisse la figuration surgir de l'abstrait si la "visite" se présente, c'est-à-dire si le désir de voir surgir des formes figuratives survient.

La liberté de l'abstrait stimule autant que la surprise de la figuration. La liberté du geste ample, somptueux, enragé, hésitant, hoquetant, impulsif, tendre et caressant, saoule. Les couleurs s'excitent par leur voisinage dans cette gestuelle parfois sauvage, parfois sereine et tranquille, contrastée et vivante, en tensions soutenues et affirmées. Le rythme se joint aux textures et aux couleurs pour stimuler en subtilité et en puissance. La spontanéité surgit avec la rapidité d'exécution et recherche l'absence de doute.

"Recherche l'absence de doute". Voilà le lieu du combat intime. Voilà la quête ultime. L'assurance. L'affirmation sans contrainte pour le seul plaisir d'affirmer. Pour le seul plaisir d'être.

Oui, Magenta Blues se nourrit de la grande peinture américaine des années 60, l'expressionnisme abstrait, le "hot painting".

La grande peinture américaine des années 60, à l'expression parfois sauvage, ahurissante, saisissante, parfois subtile et ludique, tendre et intimiste, nourrie, fécondée par le grand et méconnu Hans Hoffman, le maître de New York, nous donne toutes les permissions.

Hans Hoffman, immense pédagogue s'il en est, éminence grise discrète et prégnante, fondait son enseignement sur la perception de l'espace négatif par la pratique du dessin d'après le modèle vivant et la nature morte. C'est à cette école de Hans Hoffman qu'ont été formés les Jackson Pollock, dont les tableaux en abstrait fonctionnent sur la perception de * l'espace négatif et, par ce fait même, invitent l'œil au voyage sans fin.

L'audace, la générosité, l'intrépidité, le plaisir de dessiner d'observation, la maîtrise du dessin vécu dans la transe. Le plaisir de la perception de l'espace négatif, le plaisir de se perdre dans la foison des formes. Le plaisir de jouir de l'abondance de la réalité. Le plaisir de  la surprise de ce qui surgit à chaque tableau: comment ai-je vu aujourd'hui ? Particularité sensuelle de la touche. Jeu de textures, de ** valeurs et de palettes de couleurs. Suite infinie de transformations.

Le peintre s'excite. Le peintre part à la chasse.

Le peintre magenta-bluesien est une chasseur: il chasse la surprise de voir "comment ça va sortir aujourd'hui".

Comment vois-je aujourd'hui? Qui suis-je?

Qui suis-je ? Surprenante découvert chaque fois renouvelée, chaque fois imprévisible et souvent dérangeante.

Les artistes de Magenta Blues se fascinent du fait même de peindre en couleurs…Ils se fascinent du simple fait de voir. Ils se fascinent devant le phénomène de la perception elle-même.

Et ils se fascinent de l'aventure de poursuivre un tableau jusqu'à sa résolution. C'est-à-dire qu'ils travaillent à ce que chaque partie du tableau excite l'œil et participe aux rapports de tensions qui rendent le tableau vivant et surprenant, imprévisible à qui prend le temps de le parcourir.

Magenta Blues se nourrit donc également des peintres et poètes surréalistes. Aller à la découverte de ce qui va sortir en rêve éveillé, voilà l'objectif ultime et qui exige pour ce faire une maîtrise suffisante du dessin pour que les formes apparaissent sans que le peintre se demande comment c'est fait: curiosité, étrangeté et surprise, autant que plaisir de la maîtrise quand "ça sort rapidement et efficacement", sans labeur, "spontanément".

Que de maîtrise pour arriver à la spontanéité! Que de rigueur pour ne pas tomber dans la rigidité…

              

Francine Labelle 2004

 

* Espace négatif

On sait maintenant qu'on perçoit toujours une forme sur un fond. Par exemple un arbre sur fond de ciel. Si vous décidez de regarder la forme que fait le ciel entre les branches de l'arbre et autour de l'arbre, vous percevez l'espace négatif de l'arbre.

L'espace négatif est donc le fond qu'on décide de percevoir comme forme, c'est-à-dire qu'on extrait le fond, on le détache et on en fait une forme. Votre ciel prend une forme précise, unique et qui vous fait apparaître cet arbre comme unique et précis.

On sait aussi qu'on ne peut percevoir qu'une forme à la fois. Mon œil ne peut percevoir et l'arbre et le ciel comme formes en même temps: il verra ou bien l'arbre sur fond de ciel ou bien le ciel sur fond d'arbre. C'est ce que les allemands ont appelé au début du siècle le phénomène de la gestalt (forme en allemand).

Ce jeu perceptuel est une source immense de plaisir pour Cézanne. Et la clé de sa peinture. Et c'est pour ça que Cézanne est notre grand-père vénéré et le père du cubisme.

**Valeur

En dessin, ce terme signifie le fait qu'une tache est plus ou moins foncée ou pale. Par exemple le gris pale n'a pas la même valeur que le noir. En peinture, le jaune n'a pas la même valeur que le rouge parce qu'il est plus pale.